Dans cette article, nous allons nous attarder sur l’existence et le régime de la pension compensatoire en Espagne, sur les critères de son établissement et sur la manière de la calculer pour l’utiliser dans des procédures judiciaires dans lesquelles les deux conjoints ont la nationalité française et la résidence en Espagne.
Alexis Duc Dodon – avocat français en Espagne – conseille et représente ses clients dans tous les procédures relatives au droit de la famille et au divorce entre la France et l’Espagne.
La prestation compensatoire en droit espagnol (dite pension compensatoire : pension compensatoria)
En introduction, il convient d’indiquer d’emblée que de façon par analogie au droit français, la prestation compensatoire existe en Espagne.
La pension compensatoire en droit espagnol est établie et régulée dans le Code civil Espagnol, dans les articles suivants :
Article 97
« Le conjoint à qui la séparation ou le divorce produit un déséquilibre économique par rapport à la situation de l’autre conjoint, ce qui implique une aggravation de sa situation antérieure dans le mariage, a droit à une compensation qui peut consister en une pension temporaire ou indéfinie, ou en une prestation unique, telle que déterminée dans la convention réglementaire ou dans le jugement.
En l’absence d’accord des époux, le Juge, dans un jugement, se détermine le montant en tenant compte des circonstances suivantes :
1.ª Les accords conclus par les conjoints.
2.ª L’âge et l’état de santé.
3.ª La qualification professionnelle et les probabilités d’accès à un emploi.
4.ª Le dévouement passé et futur à la famille.
5.ª La collaboration avec son travail aux activités commerciales, industrielles ou professionnelles de l’autre conjoint.
6.ª La durée du mariage et de la cohabitation conjugale.
7) La perte éventuelle d’un droit à pension.
8.ª La richesse et les moyens financiers et les besoins de l’un et l’autre des époux.
9.ª Toute autre circonstance pertinente.
La périodicité, la forme de paiement, les bases de l’actualisation de la pension, la durée ou le moment de la cessation et les garanties de son efficacité sont établis dans la décision judiciaire ou dans la convention réglementaire formalisée devant le greffier ou le notaire« .
L’Article 99 du Code Civil Espagnol dispose qu’« A tout moment, il peut être convenu de remplacer la pension fixée judiciairement ou par convention réglementaire formalisée conformément à l’article 97 par la constitution d’une rente viagère, l’usufruit de certains biens ou la remise d’un capital en biens ou en argent. »
L’article 100 du Code Civil Espagnol précise que’ « Une fois que la pension et les bases de son adaptation ont été fixées dans le jugement de séparation ou de divorce, elle ne peut être modifiée que par des changements dans la fortune de l’un ou l’autre des époux qui en rendent l’opportunité.
La pension et les bases de son adaptation fixées dans l’accord de règlement établi devant le juge ou le notaire peuvent être modifiées au moyen d’un nouvel accord, sous réserve des mêmes exigences que celles prévues par le présent code« .
Enfin l’article 101 du code civil espagnol conclut :
« Le droit à la pension s’éteint par la cessation de la cause qui y a donné naissance, par le remariage du créancier ou par la vie maritale du créancier avec une autre personne.
Le droit à la pension ne s’éteint pas par le seul décès du débiteur. Toutefois, les héritiers du débiteur peuvent demander au juge une réduction ou une suppression de la pension, si la succession n’est pas en mesure de satisfaire aux besoins de la dette ou si elle porte atteinte à leurs droits légitimes. »
Sur la base de cette législation peuvent être établis les points suivants quant au régime en droit espagnol de la prestation compensatoire :
Nature juridique de la pension compensatoire en Droit espagnol :
La nature juridique de la pension compensatoire a été largement discutée en doctrine, et l’on s’est demandé si l’on avait affaire à une obligation alimentaire de nature réparatrice, à une nature mixte, compensatoire et réparatrice, ou, comme on le considère finalement, à une nature juridique compensatoire.
La pension compensatoire en Espagne est donc de nature juridique compensatoire, comme effet de la séparation ou du divorce et dans le but d’éviter que la charge de la rupture ne pèse exclusivement sur l’un des conjoints.
Elle n’a donc pas pour but d’égaliser les biens des ex-époux, mais d’indemniser celui qui souffre le plus de la séparation ou du divorce.
La finalité découlant de sa nature d’obligation compensatoire n’est autre que celle mentionnée ci-dessus, finalité que rappelle l’Audiencia Provincial de Huesca (Cour d’Appel) qui, dans son décision n° 230/2010 précise que:
» La pension de déséquilibre économique ne vise pas à égaliser économiquement les patrimoines, car l’article 97 n’a pas pour objet de perpétuer l’équilibre des époux séparés ou divorcés, mais son » ratio » est de rétablir un déséquilibre qui peut être temporaire, et la pension compensatoire offre un cadre qui peut permettre ou contribuer à un réajustement « . Dans le droit fil de ce qui précède, la Cour suprême (Cour de Cassation espagnole) souligne également que le but légitime de la règle de droit ne peut être autre que de placer le conjoint lésé par la rupture du mariage dans une situation d’égalité potentielle d’emploi et de possibilités économiques, qu’il aurait eue si le mariage n’avait pas eu lieu« .
Sur le mode de fixation de la pension compensatoire en Espagne
La pension compensatoire peut être établie d’un commun accord, dans une convention régulatrice formalisée devant le Juge ou devant un Notaire, comme on peut le déduire de l’article 97 du Code Civil, ou, à défaut d’accord, elle sera établie judiciairement.
Il faut aussi rappeler ici que le Code civil espagnol n’établit pas de barème pour fixer le montant de la pension compensatoire, il faudra donc le déterminer au cas par cas.
Sur la forme de paiement de la pension compensatoire en Espagne
Bien que la forme la plus courante de paiement de la pension alimentaire soit la détermination d’un montant à verser mensuellement pendant la période appropriée, ce n’est pas la seule forme de paiement. Outre ce montant déterminé et invariable d’un mois à l’autre, il est également possible de déterminer un pourcentage à verser sur l’argent que le redevable gagne habituellement, et le paiement peut également se faire en fixant une somme forfaitaire, paiement unique.
Ainsi, l’article 99 prévoit que le paiement de la pension mensuelle peut être remplacé par une rente, par un usufruit de biens ou par un paiement unique en espèces ou en biens.
Sur l’obtention du droit de recevoir la pension compensatoire en Espagne.
La pension compensatoire, comme nous l’avons déjà mentionné, n’a pas pour but d’égaliser les patrimoines des deux conjoints, elle n’a pas non plus la nature d’une obligation alimentaire, mais elle vise en réalité à éviter les dommages que la séparation ou le divorce cause à la situation de l’un des conjoints.
Il s’agit donc d’un élément essentiel pour déterminer si une pension alimentaire doit être versée si la séparation ou le divorce laisse l’un des conjoints dans une situation financière moins bonne que lorsqu’il était marié.
Cela peut se produire pour diverses raisons, mais les plus courantes sont le fait que l’un des conjoints se consacre toute sa vie aux tâches ménagères et aux soins de la famille, sans générer de revenus propres.
Il faut donc que le niveau de vie de l’un des époux soit sensiblement réduit par rapport à la situation avant le divorce et à la situation de l’autre époux.
À l’inverse, en l’absence de préjudice, aucun droit à une pension compensatoire ne peut être obtenu.
Ce n’est pas non plus le cas si les deux conjoints mènent effectivement un niveau de vie similaire qui ne révèle aucun préjudice pour l’une ou l’autre des parties.
Il existe une jurisprudence abondante sur la question du déséquilibre. Il convient de mentionner le jugement n° 319/2011, du 16 juillet 2011, de la Audiencia Provincial de Murcie (4e chambre), qui indique clairement :
« Nous devons garder à l’esprit, comme notre Cour l’a affirmé à plusieurs reprises, que la pension compensatoire a une finalité de rééquilibrage qui répond à une hypothèse de base, qui est le déséquilibre économique produit chez l’un des conjoints du fait de leur séparation ou de leur divorce. Par conséquent, l’existence de cette inégalité ou de ce déséquilibre, nécessairement situé au moment de la séparation ou de la cessation de la cohabitation, est une condition essentielle pour que le droit de l’obtenir naisse« .
Sur le montant de la pension compensatoire en Espagne
Comme indiqué, il n’existe pas dans l’ordre juridique espagnol de barème permettant d’établir ou de fixer spécifiquement le montant de la pension compensatoire, mais celui-ci sera établi après examen des circonstances de l’espèce.
Toutefois, les tribunaux ont établi une série de limites ou de plafonds pour le montant de la pension compensatoire.
Ainsi, l’Audiencia Provincial de Granada, section 5, dans son jugement du 29 mai 2009, établit que :
« Pour le calcul de la pension compensatoire, le montant perçu par le mari doit être diminué des charges permanentes et stables qu’il doit supporter, ce qui peut inclure les pensions alimentaires pour enfants, le paiement de l’hypothèque sur le logement familial s’il y a des enfants mineurs, le loyer du logement ou d’autres charges similaires qu’il doit payer… ».
Les circonstances à prendre en compte sont celles expressément indiquées à l’article 97, ce qui ordonne de tenir compte en premier lieu des accords éventuels adoptés par les conjoints, et, en l’absence de tels accords – ou en les complétant au cas où ils ne seraient pas parvenus à un accord sur tous les points – il est tenu compte de l’âge des conjoints et de leur état de santé, les qualifications professionnelles et la probabilité d’accès à l’emploi de chaque époux, dans l’hypothèse où il n’aurait pas eu une vie active ou professionnelle, la manière dont chaque époux s’est consacré à la famille pendant le mariage et dont il se consacrera à l’avenir, le patrimoine et les moyens financiers des deux époux et les besoins de chacun.
Bien que cela dépende de l’appréciation souveraine du Juge, on peut affirmer, d’après la pratique des tribunaux espagnol, qu’il existe certaines circonstances qui sont prises en compte avec une attention particulière, c’est-à-dire qui ont plus de poids dans la décision, comme, entre autres, la durée du mariage et le temps de cohabitation, le degré de dévouement passé et futur à la famille et la contribution de l’un des conjoints à l’activité professionnelle de l’autre.
Sur la modification et l’extinction du droit à la pension compensatoire en droit espagnol
Il convient de traiter deux questions.
La première est que le montant établi comme pension et les bases de son actualisation peuvent être modifiés, comme le prévoit le code civil espagnol, en cas de changement de la capacité économique tant du conjoint obligé à payer la pension que du conjoint bénéficiaire de ce droit, étant entendu en jurisprudence epagnole qu’il s’agit d’une modification » à la baisse « , puisque la modification visée à l’article 100 du code civil ne peut être interprétée que dans ce sens et non à la hausse, comme l’établit la décision n° 298/2007, du 17 juillet 2007, de l’Audiencia Provincial des Asturies.
Et, pour conclure, sur l’extinction du droit, il y a plusieurs causes qui y donnent lieu, avec une interprétation jurisprudentielle ample de chacune d’entre elles :
– La cessation de la cause qui a motivé son octroi, comme cela peut se produire en cas d’amélioration de la fortune du conjoint bénéficiaire du droit à la pension, rendant inutile son maintien. Également en cas de remariage des conjoints séparés.
– Si le conjoint ayant droit à la pension se remarie.
– Et en cas de cohabitation stable de fait du conjoint ayant droit avec une autre personne avec en réalité il partage ses frais.
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